dimanche 16 juin 2013

CE QUE LE JOUR DOIT À LA NUIT (LETTRE À MON FRÈRE)



Ce soir, je ne veux pas sortir. Ce soir, je ne veux pas me noyer dans la nuit des autres.
Je voudrais rencontrer des gens qui n'existent pas pour que ça ne laisse pas de traces.
Quand j'étais petite, la nuit me fascinait, puis elle m'a fait peur, longtemps, puis je l'ai adorée. J'ai adoré m'y perdre alors j'ai compris pourquoi elle me faisait si peur.
L'euphorie de la nuit m'a lassée parce qu'elle me laisse toujours seule le jour, parce que je m'y suis vautrée, fracassée, blessée, pulvérisée.
Le jour, on ramasse les miettes de tout ce qu'on jette la nuit comme de la poussière d'étoiles. Mais tout reste poussière, poussiéreux.
Dans le ventre, j'ai toutes ces étoiles hystériques qui ne trouvent pas leur ciel.
J'en ai craché des étoiles pourries, des étoiles divines, des étoiles acrobates, me laissant muette au lendemain, incapable de remettre la main dessus, incapable de contrôler ce qui sort de moi.
J'ai construit ma vie sur un immense chagrin que j'ai essayé d'assommer à coups d'éclats de rire.
J'ai voulu rire plus fort que tout le monde en espérant qu'au passage je pourrais gober cette putain de mélancolie. J'ai menti. Je me suis menti. Je me suis fait croire à des lendemains chantants. Je me suis mise en haut d'une tour pour me jeter sans filets. J'ai la tête dure mais le cœur gros.
Et je pense à toi mon vieux frère, toi qui a le même vibrato. Tu es toujours là mais je n'entends plus ta voix. Je voudrais retrouver la fougue de nos 12 ans, quand on partait au bout de la rue en étant persuadés d'y trouver un autre continent. On s'est vite cassé les dents, comme dans Truman show. On a vite compris qu'au bout de la rue beh y'avait une juste une autre rue, toute aussi banale que la précédente. Comme les gens : On croit trouver des perles puis on en fait des colliers, tous identiques et tous en toc !
Mais toi t'es pas en toc, c'est juste le monde qui nous entoure qui est en carton pâte.
Si tu savais comme parfois j'aimerais venir te prendre par la main et te montrer qu'au bout de la rue y'a pas grand chose mais y'a toujours moi, prête à te faire rire et à voler la nuit pour pas qu'elle nous mange...

Élodie Da Silva (auteur de Mauvais Potage, recueil paru aux éd. Lunatique, 2012)

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