mercredi 3 juillet 2013

Dans le rift de son cul (Journal de bord d'abyme 3)


2ème jour, la plage, l’après-midi.

Ciel laiteux. La mer est roulée comme un cigare sous l’aisselle d’un bateau à voiles. Le vent du nord fait glisser langoureusement du sable dans mes cheveux. Les embruns ont perdu. Les vacances à la mer s’étendent sur une serviette ensablée, dans une odeur d’huile, le dos crémé d’annonces publicitaires de l’industrie de parapharmacie. Au loin, derrière la digue, les grandes pyramides de la Grande Motte attendent le soulèvement tectonique et le pli, qu’un doigt divin en fasse de l’origami, phallus de béton blanc s’écrasant depuis le ciel sur la Motte du couchant ouverte, béante, seulement séchée par les rots du soir, cet odeur d’égout qui reflue à la nuit, un vieux jus de plage pressée.

Au fil de l’eau, une « Rosie » au rabais passe sur la mer, bastinguée comme un navire, tout le cliquetis des rouages de la Féminité, l’épaule droite, les voiles à l’avant, mâchoire mâchée ; « bonne » dit un petit groupe de gamins derrière moi. Ils n’ont pas tort. Elle a à voir avec cette histoire de Grande Motte qui veut baiser le Couchant (Balladur, l’architecte en chef de l’ensemble a voulu cette dualité féminin/masculin). Les immeubles sont arrimés à son dos musclé : mille yeux, mille fenêtres sont ouverts, les climatiseurs et la longue mémoire de la civilisation tournent à plein, ça joue au poker en mâchant du cigarillos, l’odeur du whisky débile, le mâle seul comme un loup raclé, sec, à l’os. Rien n’échappe à ce maillot fluorescent engoncé dans le rift de son cul. Rebondi, redondant quand elle s’éloigne, le regard houlahoupe. Pour une minute, c’en est fini de la mer. Le petit point orange s’attarde à la masse concassée des plagistes, des parasols, une petite braise de feu poussée du ventre, faufilée voleuse entre les grands drapeaux des vendeurs de glaces et de beignets. La mer claque férocement, comme deux lèvres d’une vieille cubaine pompant sur le barreau de chaise. Ma petite braise s’est tout à fait éteinte. Elle n’est plus qu’une particule de cendre de ma mémoire. Il ne me reste plus qu’à faire exister le roulis d’un cul au mât de mon érection.

Paul Jullien


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